Écriture / éditions
Painted Love, 2024
Ce texte est un récit autofictionnel, qui mélange des éléments autobiographiques à la fiction. Son écriture a commencé durant l’été 2023 et s’est terminée à l’automne 2024. Il a été mis en page, imprimé et relié à Cherbourg par Églantine Marcel, et distribué à l’occasion de l’exposition « Tainted Love » de Bérénice Nouvel sous le commissariat d’Émilie d’Ornano dans le centre d’art KOMMET à Lyon (du 13 décembre 2024 au 8 février 2025).Extrait du texte:
« Pense à l’argent »
C’est ce que me dit ma mère, quand je rentre les mains et les cheveux pleins de peinture, piquée par deux guêpes et en larmes parce que je viens de défoncer la portière de sa voiture en faisant couler le reste du pot de blanc dessus. Ça la rassure que j’en fasse, de l’argent. Son plus grand stress étant 1. Se dire que j’ai encore maigri (uniquement à ses yeux) 2. Se demander comment je vais faire pour payer le loyer et la nourriture à la rentrée prochaine comme je n’aurais plus la bourse car j’ai fini les études aux beaux-arts.
Un été, un client de mon père, un maçon, est venu le voir pour lui demander s’il ne connaissait pas quelqu’un qui pourrait lui peindre ses grues. Pas vraiment les grues. C’est les contrepoids en béton qui les soutiennent, de grands blocs de 6 mètres par 4. Et il y a aussi la façade du bâtiment de ses bureaux qui correspond à la taille de 4 grues.
C’est comme ça que j’ai hérité de ces énormes surfaces en béton. Plus de quarante mètres carrés à recouvrir méthodiquement de matière plastique colorée et visqueuse qui durcit au soleil. De la peinture utilitaire pour faire de la pub, avec des fleurs, des collines, un beau ciel bleu et un gros « MAÇONNERIE TERRASSEMENT » en rouge pétant, contour noir et reflets blancs.
J’y étais encore cet été, comme depuis trois ans et je me souviens du sentiment de fierté que j’ai ressenti en terminant le premier chantier. Le labeur était récompensé par un tas de billets. La « valeur travail » de mon action devenait incontestable. C’était de la peinture appliquée au pinceau — l’outil de l’Artiste — et j’en étais enfin devenue une aux yeux de toustes. Car si le statut d’étudiante était protecteur, ce que je fais maintenant n’a vraiment plus de nom. Je dis protecteur parce que dans un BlaBlaCar ou durant mes repas de famille, dire « je suis étudiante » ça passe toujours et même si c’est étudiante aux beaux- arts. À la limite, on tente de t’expliquer que ce n’est pas un secteur qui paraît très porteur, mais bon de toute façon, même les diplômé·es des filières scientifiques peinent parfois à s’insérer dans le marché du travail de nos jours, alors voilà au final on te laisse le bénéfice du doute et on te fiche la paix. Après c’est différent.
Sans le savoir, le métier de mes parents m’a permis d’être très tôt confrontée à la réalité de ce qu’allait être ma vie professionnelle d’affiliée au régime des artistes-auteurs (« artiste-autrice » n’a pas non plus de nom chez l’Urssaf Limousin). Toustes deux à leur compte, ma mère en coiffure et mon père en enseigne. La voie de l’indépendance. Ce que je voyais de leur métier quand j’étais petite était très différent de ce que je peux voir maintenant. Maintenant, je vois l’épuisement physique et moral de la même pratique artisanale menée toute une vie, le stress et l’eczéma aux coudes à vouloir que l’affaire tourne, la tendinite qui s’apprête à attaquer tous les bouts de corps qui se plient. Je me rappelle que ma mère me racontait, quand elle parlait de ses débuts en tant que coiffeuse, qu’elle faisait des allergies en réaction aux couleurs et autres produits toxiques qu’elle appliquait sur les têtes. Ça fait des grosses plaques rouges qui grattent entre les doigts. La peau est tellement sèche que parfois ça pète jusqu’au sang. J’ai la chance de ne pas connaître ce péril. Les risques, en faisant couler de la couleur sur mes doigts, c’est juste
d’avoir l’air crade. On m’a appris à bien présenter pour faire bonne impression. Alors dans les vernissages je regarde les doigts qui tiennent les verres. Et c’est comme les coiffeuses qui reconnaissent celles qui ne mettent pas de gants pour appliquer les couleurs. En coiffure, ça déteint l’ongle ; en peinture, la matière se coince dans l’interstice entre la peau, près des cuticules. Dans les deux cas, ça fait comme un vernis mal dissous. Un vernis bizarre.”



Vue dans l’exposition “Tainted Love” à KOMMET, Lyon :
Toute la peinture que j’aime, 2023
Mémoire de DNSEP, Janvier 2023, sous la direction de Xavier Vert.Toute la peinture que j’aime est un récit autofictionnel qui raconte d’où je viens et ce que j’ai (parfois) à en dire, ainsi que mes rencontres avec des peintures et des peintre·sses.
Extrait du texte:
« Mon père est enseigniste.
Après un début de carrière en tant que fresquiste et dessinateur de cartoons, il a abandonné crayons, pinceaux et aéographe pour aller là où son destin devait le mener: l’adhésif. Ses sautes d’humeur seront maintenant guidée par la qualité de la colle du vinyle, ses tendinites par le marouflage à répétition, et ses coups de colères par l’apparition de bulles d’air inopinées.
Il aurait aussi pu devenir peintre en lettres, il y avait encore les pinceaux, il y avait encore le mot « peintre » dans son titre. Mais c’était pas ça le truc. C’était les dessins, la peinture, les personnages, les gros traits noirs et les animaux. La caricature et la vitesse. C’était pas les lettres. De toutes façon vous savez, l’informatique ça va plus vite, c’est plus facile, c’est plus rentable, c’est ça que les gens veulent maintenant. Il a alors fallu troquer l’aérographe contre le cutter, les crayons contre Adobe Illustrator, et le debout contre le assis-fauteuil.
C’est encore arrivé, par sursaut ponctuels, qu’il les reprenne en main. Un phare breton dans le salon. Aussi, un début de champs de lavande dans la bibliothèque, à côté des BD et de l’étagère à figurine vitrée. Il y a aussi eu des portraits dans le hall d’entrée. Surtout, des grosses pierres. Il les peint à la chaîne sur les murs ou du béton Ciporex pour décorer les couloirs.
Mais c’était comme se forcer à aimer ça encore. C’était comme le faire parce que ma mère était pas contente de voir les pots de peinture trainer dans l’évier de la cuisine, et qu’il fallait en finir une bonne fois pour toutes. Iels se sont encore aimés un peu. Il a fallu décorer son salon de coiffure. Des angelots partout, des colonnes en faux marbre et des vues sur la Grèce. Puis c’était fini. Le plaisir était mort. »
- Extrait de la première partie





Toutous 2023
Distribué à l’occasion du vernissage de « Exposition de peinture pour chiens», dans la SUPER Galerie, Nantes, Mars 2023.
Extrait du texte:
« Ça a été un peu long. Ça s’est figé, d’un coup, bien en face dans les pupilles, une fixation dans le brillant qui reflète les lumières de la rue. Ça scintille, ça fixe, ça clignote pas. C’est stable et rassurant. J’ai presque plus respiré. Toi, je voyais ton ventre se remplir et se vider très vite. Vide plein vide plein vide plein vide plein. Tu faisais rentrer l’air dans tes poumons à une cadence infernale. Pourtant, à part ton ventre qui se gonfle, tu restes immobile.
D’un coup, t’es vite parti·e un peu plus loin. Gratter dans une poubelle. J’ai sursauté. Je t’ai observé longtemps. Je regardais comment tu faisais, avec tes pattes qui grattent comme dans la terre, pour sortir des vieux sacs en plastiques les choses que t’allais mettre dans ta bouche. Ça faisait un gros bruit de plastique et de carton froissés. Tu léchais quelques trucs, mais tu t’attardais jamais trop longtemps. Quand t’avais fini d’un, t’en cherchais déjà un autre.
C’est à ce moment là que ma machine à fantasmer s’est mise en marche. Je me suis vue, dans ma chambre, dans mon lit, avec toi. Oui, je t’ai voulu pour moi toute seule. Un petit chien marron poils drus et longs. Je me trouvais même te ressembler. »
- Extrait du texte « Le chien croisé dans la rue en rentrant chez moi »
